Publié le 18 décembre 2025

9 min

La France qui se dépeuple, la France qui croît : état des lieux démographique

#Science

Si l'on débat beaucoup de la fin observée de la croissance démographique naturelle en France, tous les territoires ne sont pas touchés de la même façon. Pour le géographe Sébastien Oliveau, un rapide tour de France nous montre que les dynamiques restent très variées.

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Le Puy en Velay Le Puy‐en‐Velay (Haute‐Loire) fait partie des villes dont la population diminue en raison de son solde naturel. / Photo de GOETZ Jean‐Pierre sur Unsplash

En juillet 2025, les médias se sont emparés d’un chiffre choquant : le solde naturel de la France (la différence entre le nombre de décès et le nombre de naissances) était négatif depuis douze mois, marquant l’arrêt de la croissance naturelle du pays. La croissance démographique de la France repose désormais sur le solde migratoire (différence entre les entrées et les sorties du territoire).

Ce phénomène, nouveau à l’échelle nationale, touche en fait de nombreuses communes, voire départements, depuis longtemps, notamment dans les zones rurales.

En France, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la croissance démographique a toujours été positive grâce à un solde naturel et un solde migratoire positifs. Depuis quelques mois, le solde naturel est désormais négatif à l’échelle nationale, mais le solde migratoire reste suffisant pour assurer encore la continuité de la croissance démographique du pays.

Mediacités et The Conversation

Ce texte est la reprise d’un travail initialement paru sur le site The Conversation, média indépendant qui publie des articles d’universitaires et de chercheurs sur des sujets d’actualité. Il est signé par Sébastien Oliveau, géographe et directeur de la Maison des Sciences sociales et des Humanités (MSH Paris‐Saclay). Nous le republions ici in extenso.

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Lorsque les soldes naturel et migratoire sont positifs, la population augmente, c’est le cas aujourd’hui des grandes métropoles, de certains espaces frontaliers (avec la Suisse, l’Allemagne, le Luxembourg), mais aussi localement à La Réunion et en Guyane.

La croissance peut parfois être portée uniquement par un solde naturel positif même si le solde migratoire est négatif. On retrouve ces dynamiques dans les mêmes lieux que ceux que nous venons de citer : localement à La Réunion (par exemple, à Saint‐Denis) ou en Guyane (à Saint‐Laurent‐du‐Maroni) ou encore dans une moitié de l’Île-de-France, la commune de Lyon (Rhône), etc.

On peut enfin avoir une croissance démographique liée à un solde migratoire positif (les personnes viennent d’autres territoires français, voire internationaux), malgré un solde naturel négatif. C’est le cas de la façade atlantique, du sud de la Nouvelle‐Aquitaine, de l’Occitanie, de la région PACA et de la Corse.

A contrario, la décroissance peut être due à des soldes naturels négatifs malgré des soldes migratoires positifs. C’est le cas d’une bonne partie des espaces ruraux du centre de la France jusqu’au sud du Massif central et même jusqu’aux Pyrénées. La moitié nord de la France, à l’exception des zones dynamiques précédemment citées, se trouve dans une situation où le solde migratoire négatif entraîne une baisse de la population, parfois couplée à un solde naturel négatif qui accentue encore ces tendances. La situation de la Guadeloupe et de la Martinique est d’ailleurs similaire.

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L’oubli des campagnes

Les chiffres globaux cachent donc une diversité locale souvent laissée de côté. Ainsi, une partie de la France perd de la population de manière régulière depuis plus de cinquante ans et, pour certains lieux, depuis la fin du XIXᵉ siècle.

Le cas du département de la Creuse est l’exemple le plus marquant. Le département a connu son pic de population en 1886, avec presque 285 000 habitants. Depuis, il s’est littéralement vidé. Il a d’abord été victime de l’exode rural, mais, depuis 1975, le solde migratoire est positif. C’est donc depuis lors la panne de la dynamique naturelle qui explique la décroissance démographique de la Creuse. Le solde naturel atteint en effet presque – 1 % par an désormais (un record en France). On y dénombre deux fois et demie plus de décès que de naissances, et l’année 2024 a été marquée par seulement 713 naissances, deux fois moins que dans les années 1970.

Quid de la « renaissance rurale » ?

On a pourtant souvent entendu parler depuis les années 1990 d’une « renaissance rurale ». À l’échelle nationale, c’est effectivement le cas : sous l’influence de l’étalement urbain et l’accélération des déplacements, les campagnes les plus proches des villes, et particulièrement des plus grandes, ont connu une croissance démographique régulière, qui continue. Mais il s’agit en fait surtout d’un effet de débordement des populations urbaines sur les territoires environnant, facilité par le développement des transports (l’automobile en premier lieu).

Les tenants de cette « renaissance rurale » n’ont pas voulu voir la réalité des nombres. Alors que les indicateurs de croissance étaient globalement positifs, le dépeuplement d’une partie du territoire, souvent déjà peu dense, perdurait. En outre, une partie de ces migrations sont le fait de personnes en retraite, ce qui ne peut qu’apporter une dynamisation temporaire de la démographie locale (il n’y a pas de relance de la natalité).

Une récente étude, proposée par les géographes Guillaume Le Roux et Pierre Pistre, montre néanmoins une accélération des dynamiques migratoires au profit des espaces ruraux, à la suite du confinement de 2020. Cependant ces migrations restent modestes et concernent surtout les populations les plus aisées, qui sont aussi les plus âgées.

Des villes qui perdent aussi en population

La baisse de la population touche aussi des villes, et pas des moindres. Elle est souvent liée à l’émigration, mais cela peut‐être aussi lié à la baisse de leur dynamique naturelle, ou encore à l’accumulation des deux facteurs.

Dans le premier cas, la baisse de population liée à l’émigration, on trouve plus de 90 villes de plus de 20 000 habitants, dont 27 centres urbains de plus de 50 000 habitants, allant de Bondy, Arles et Sartrouville pour les plus petites, jusqu’à Grenoble, Le Havre, Reims et surtout Paris. Pour la capitale, la dynamique affecte la commune intra‐muros : la banlieue et les espaces périurbains d’Île-de-France connaissent des dynamiques variées. L’ensemble de la région Île‐de‐France reste en croissance grâce à sa dynamique naturelle.

En Bretagne, la ville de Douarnenez perd des habitants. / Photo de Thanh Ly sur Unsplash

Dans le second cas, la baisse de population liée à la dynamique naturelle, on ne trouve que 13 villes de plus de 20 000 habitants, parmi lesquelles figurent Hyères et Cannes. Une trentaine de villes de 10 à 20 000 habitants sont également concernées, partout en France : cela impacte aussi bien le Sud (Saint‐Cyr‐sur‐Mer, Roquebrune‐Cap‐Martin…) que le centre (Le Puy‐en‐Velay, Saint‐Amand‐les‐Eaux…), l’Ouest (Cognac, Thouars, La Flèche, Douarnenez, etc.) ou l’est de la France (Autun, Bischwiller, Freyming‐Merlebach…).

Le dernier cas, la baisse de population liée à une décroissance totale (les deux soldes sont négatifs) touche, quant à elle, 74 villes de plus de 10 000 habitants, dont 27 villes de plus de 20 000 habitants, les plus grandes étant : Cherbourg, Bourges, La‐Seyne‐sur‐Mer, et Saint‐Quentin.

De la nécessité de penser local

La fin de la croissance naturelle observée à l’échelle nationale est donc un cas de figure déjà connu localement, ce qui peut paraître nouveau est donc déjà expérimenté dans de nombreux endroits. Les dynamiques observées doivent être différenciées aussi bien en termes de taille démographique des territoires concernés que de localisation régionale, ou encore en fonction des profils des habitants concernés. De manière générale, les espaces métropolitains enregistrent plus de naissances que de décès, notamment parce que leur structure par âge est plus jeune. Les populations étudiante et active tendent à rejoindre les villes (ou à y rester), alors que les personnes retraitées partent plus facilement s’installer sur la façade atlantique et dans la moitié sud de la France.

La prise en compte des dynamiques locales dans leur diversité géographique est nécessaire : les besoins ne seront pas les mêmes dans les années à venir dans une petite commune rurale en décroissance en Champagne ou dans une commune en croissance de la banlieue lyonnaise. La décroissance liée à la migration n’a pas les mêmes ressorts que celle liée au solde naturel négatif.

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Les conséquences de ces différentes dynamiques ne seront pas non plus les mêmes, que l’on songe par exemple aux besoins d’équipements publics : quid des services au profit de la jeunesse lorsque le solde naturel devient négatif ? La migration concerne‐t‐elle des jeunes actives diplômées ou des couples de retraités ? Car le profil des migrations a des effets très différents : lorsque de jeunes femmes partent pour les études et ne reviennent pas, c’est la natalité future qui s’en trouve affectée ; lorsque des retraités quittent le territoire, c’est à la fois une perte de revenu local et une moindre charge future pour les services de santé et d’aide à la personne ; lorsque des actifs s’en vont, c’est la ressource en main‑d’œuvre qui se réduit. Autant de situations qui se combinent et appellent des réponses locales, adaptées et innovantes.

Il n’y a pas une France en décroissance, mais des variétés de situations. C’est sans aucun doute là qu’est le plus grand défi : penser l’adaptation localement dans un pays dont les discours et l’action politiques sont toujours pensés de manière trop globale.

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Rédigé par The Conversation

Publié le 18 décembre 2025

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